Mais avant...
J'ai rencontré un gars. Un petit vieux dans un café. Quand je me suis installée à côté de lui, je m'apprêtais à lire un livre décrivant la magie du moment présent, à prendre des notes sur le sujet, à étudier un peu tout en buvant mon café. Je m'installe, enlève les couches, le bonnet et sors le matos. Lui à côté m'observe, son journal étalé sur la petite table. "Vous sortez pas un ordinateur? Vous allez dessiner ou écouter de la musique?" qu'il me demande.
Et là, ma journée change.
S'en suit 3 heures de conversations avec ce petit vieux dont je n'ai même pas eu la politesse de lui demander son prénom. Mon livre lance le sujet; la pleine conscience etc. Il me parle spontanément de la méditation, puis fait la comparaison avec le yoga - tiens je viens de sortir de mon cours- en enchaînant sur l'aspect spirituel des monastères. Pour être honnête, je ne suis pas réceptive à 100% au début de la conversation, d'une part parce que je m'attendais pas à parler de ce sujet avec un type de 70 ans dans un café branché, d'autre part, les personnes de cet âge ont généralement une vision peu ouverte. Mais je me fourre le doigt dans l'oeil, et il continue, il parle d'Histoire, de sociologie, de sport, de sens. Route de la soie, baie des cochons à Cuba, Kennedy, des avions, avant, maintenant.
Énoncer tout ce qu'on a parlé ne servirait à rien, parce que ça n'intéresse pas le discours rapporté et parce que je ne voudrai pas dénaturer la conversation en vous la contant. Je souhaite garder dans ma tête le souvenir de cet homme âgé, québécois très cultivé;
qui m'a fait ouvrir les yeux sur certains points,
qui a philosophé sur des sujets différents mais se tous se rejoignant,
qui a lâché quelques brides de sa vie privée.
A un moment donné, il me glisse entre deux phrases, qu'il souffre de solitude. A l'ombre qui se propage dans ses yeux, je comprends que le mot est faible. Alors il me dit qu'il vient souvent dans les cafés. Mais que ça a changé en 30 ans, avant on venait pour y rencontrer des gens... Je lève la tête et balaie la salle. Tout le monde est seul à sa table avec son ordinateur et des écouteurs, plongé, concentré. La combinaison écran-musique brise tout contact possible avec ces gens. "Pourquoi ils sont tous là alors, si ils veulent pas parler?" La vue de cette salle pleine de gens qui n'interagissent pas, ou peut être via leur ordinateur avec des gens absents du lieu, me coupe l'herbe sous les pieds. Je le regarde lui, sa manche gauche de jaquette est déchirée. Le pépé, un peu chétif est là, attendant que quelqu'un l'écoute, éclaire sa journée par son oreille. Mon coeur se pince.
Cette rencontre me fait du bien. Elle me fait du mal aussi.
Il me dit que son épouse est morte violemment à 40 ans, et que jamais, non jamais, il n'aurait pensé sa vie d'aujourd'hui ainsi. Il ne l'imaginait pas comme ça mais qu'au fond on ne sait jamais comment ça va être. Sans enfants. Seul. Alors qu'il a été élevé dans une famille nombreuse, comme dans une petite communauté, qu'il a plus de 50 cousins dans les alentours à Québec. Il fait un geste et me dit qu'il y a certainement tout autour de nous des enfants de ses cousins, des gens qui ont un lien de sang avec lui, d'ailleurs il lui semble en reconnaître à cause des traits du visage. Mais rien n'y fait, il ne les connaît pas... Je ne saurais dire si il y a de l'émotion dans sa voix à ce moment-là. Ce qui est sûr ce qu'il y en a en moi.
"Regarde pas devant ta voiture s'il y a un trou c'est trop tard, mais sur ta route; comme ça t'es préparée."
Si j'étais une petite vielle, je voudrais tomber sur toi dans un café. Il a de la chance.
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