Aux confins du confinement

Mon téléphone sonne et à l'autre bout du fil, quelqu'un qui m'amène un morceau du monde. C'est Caroline.

De sa maison espagnole, avec son accent bruxellois, elle me demande comment je vis cette période en Suisse. Et si notre expérience au Groenland ne me semble pas encore plus palpable ces derniers jours.


Je lui dis que oui; je suis sur le bateau souvent là-bas dans les eaux arctiques. J'en ai rêvé d'ailleurs plusieurs fois en un mois. Ma vie quotidienne dans le même espace depuis plus de 3 semaines est souvent entrecoupée par des sursauts de souvenirs. Et oui, j'ai aussi commencé à regarder les photos et les vidéos. Ces archives gelées dans des cartes SD ne sont cependant qu'un simple reflet des sentiments enfouis.

Les journées longues à regarder un paysage immobile fait des aller-retours des voitures, des branches agitées par le vent et des passants vieillissants. Le clapotis des pas des voisins. Les heures où le soleil se couche sur la montagne de la Dôle en face. La nourriture quelque peu rationnée; car les courses régulières ne sont pas une possibilité. La lenteur qui s'égraine au rythme d'un cocon.


Carline, aussi, vit cette période comme un retour au Groenland. Un des skypers lui a affirmé pareil. Et la semaine passée, c'est un autre passager qui m'a dédicacé un message poétiquement emprunt de nostalgie. Il semblerait que ce confinement nous ramène des saveurs d'ailleurs que l'on a vécu ensemble il y a plusieurs mois.

Un voilier de douze mètres carrés, six personnes qui n'ont pas de liens amicaux, 3 semaines non-stop sans aucune miette d'intimité. Etre enfermé à ciel ouvert dans des paysages silencieusement magnifiques.


L'occasion pour moi d'essayer de décapsuler ma créativité vers cette expérience inoubliable que j'ai laissée de côté en rentrant car... Il faut du temps pour tout. Comme il nous faudra du temps pour prendre conscience des conséquences de cette période. Et maintenant, je réalise grâce à la conversation avec Caroline que je ne suis pas réellement là sur mon canapé. Du moins pas totalement. Je suis sur la banquette au tissu de teckels délavés, entourée de livres d'aventures, bercée par le mouvement de l'eau et attendant que le café chauffe alors qu'un skyper hurle dehors "baleine à bâbord". Que je suis là où ma tête me fait voyager, je suis là où mes souvenirs m'emmènent.

Là où les richesses qui m'habitent prennent toute la place entre mes deux oreilles. Dans ma tête et aussi dans mon coeur. Au confins du confinement, on réouvre les boîtes à trésors qu'on avait rangées au grenier.

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