L'abandon de Willy

A la fin de ma journée de travail, je rentre à pieds. Le train serait plus rapide de quelques minutes seulement, mais j'insiste à prendre ce laps de temps pour moi afin d'adoucir la frontière entre ambiance de boulot et vie personnelle. Quelle chance d'habiter tellement près de mon bureau que je sois obligée d'allonger le chemin du retour. Alors je marche et traverse un bout du nord de la ville. J'y croise tous pleins de choses intéressantes et distrayantes.



Surtout les jours des déchets encombrants. Les habitants entassent leur bordel au bord de la route le deuxième mercredi du mois en attendant que la voirie municipale s'en charge. Et quelle merveille pour l'analyse de l'intérieur des gens. 

Des objets cassés. Des objets qu'on a remplacé. Des objets qu'on a jamais utilisé - le prix et l'étiquette l'attestent. Des sacs d'habits -qui il faut l'avouer- n'invitent pas à la seconde main. Des pots en plastiques, ébréchés - beaucoup. Des meubles démontés à la va-vite. 

Un objet a particulièrement retenu mon attention la dernière fois. Parmi un amas non identifiable, l'arrière train d'une sculpture de dauphin, en plastique de plus de 40 centimètre. La peinture se veut réaliste. Genre entête de poissonnerie mais version dauphinée. Incroyable, n'est-ce pas? Une succession de questions défilent dans ma tête... Déjà: où est la tête? Qui a acheté cet objet, pour quelles raisons? Et si cet objet est un ancien trophée de décoration cassé, comment est le reste de l'appartement? 

Mes yeux cherchent des réponses, des indices. Et me déplaçant -surprise, émotion- je vois la partie avant du dauphin. Génial! Un dauphin en plastique cassé en deux, intérieurement creux, accroché sur un support en bois vernis. Le kitsch conjugué au présent sur la voirie. Vraiment, je rigole.

Me voilà repartie accompagnée de la moitié des questions à présent... Les tas de déchets me distraient et j'arrive vite dans mon quartier. Je traverse pour arriver devant mon immeuble et jette un oeil moins curieux au dernier tas - oui ma curiosité a été satisfaite et donc je n'attends plus rien de celui-ci. Mais... miracle et hasard. Une queue de dauphin dépasse d'un carton, je m'approche, analyse bien... Le même dauphin aux déchets encombrants! Il est moins abîmé mais tout autant non désiré. Doublement incroyable!

Je jubile intérieurement et hésite réellement à ramener cette sculpture chez moi... 

C'est aussi le but de ces tas de non-voulus qui font des heureux. 
Bon. Non. Allez j'en ai pas besoin... Le soir je retourne voir. Il y est toujours. Personne n'en a voulu...

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