Le brâme d'ailleurs
Durant le mois de septembre, je me suis faite invitée à aller écouter le brâm du cerf par un retraité baroudeur. Un qui n'a jamais eu peur de quelques sommets de 6'000 mètres, qui a fait des marathons seulement pour s'entraîner à d'autres étapes sportives bien plus importantes, oui donc j'étais invitée à aller marcher.
On s'entend tout de suite sur le rythme que ça comprend, alors que toi tu sues déjà les premiers kilomètres, monsieur est en plein exposé au sujet de la faune et de la flore environnante. Monsieur gambade tranquillement, commente le parcours par d'innombrables souvenirs et toi tu marches. C'est tout ce qui t'es donné de faire vu le rythme de ses jambes d'un mètre vingt... Heureusement qu'il y avait ma maman aussi, on a pu le ralentir à deux.
L'expédition consistait à aller dans le jura à la fin de la journée afin d'écouter le cerf bramer pendant la saison des amours. Après avoir posé les sacs à l'endroit le plus propice, on s'est baladés autour du chalet d'alpage en tendant l'oreille. Rien. En fin de compte, on s'est retrouvés les trois dans la cuisine du gars de l'alpage à boire l'apéro, le digestif et le café.
Rien entendu, enfin rien de très distinct.
Mais j'ai vu quelque chose de bien plus... touchant. L'homme qui nous a accueilli était véritablement heureux de voir des gens qui le sortaient de sa solitude, de la monotonie d'un été qui tirait sur sa fin. Depuis mi-mai jusqu'à mi-septembre, le gars était responsable des plus de 100 génisses que les paysans de la région lui avaient monté. Marcher, les compter, veiller à leur bien être de loin sans parfois les voir pendant plusieurs jours, les recompter, reconnaître les vaches appartenant au même troupeau, marcher encore et toujours. Et ça, toute cette période estival, seul. Sans distraction aucune, mise à part les marcheurs du dimanche ou son voisin hippie avec le même job. Pas de réseau. Pas de distraction. Une habitation très primaire. Une alimentation réellement basique.
La simplicité de son mode de vie m'a surpris. Une vie de moine à l'alpage.
Sans le dire réellement, il nous a fait comprendre la difficulté de ce mode de vie. Certes choisi mais très rustique. Je vous parle de l'électricité dans une pièce, d'une bassine pour se laver. Il allait devoir réfléchir si il pourrait s'offrir une télévision pour l'été d'après. Cet agriculteur avait un rapport bien particulier à la Suisse et un discours au sujet de l'immigration qui m'a fait réfléchir.
Originaire de fribourg, le gars est parti avec sa famille au Québec acheter une propriété agricole. Les papiers et les tests d'immigration ont été très pénibles, voire éprouvants à leur arrivée là-bas. Après avoir légué son exploitation à un de ses fils, il revient les étés en Suisse pour travailler dans les alpages. Sans jamais avoir abandonné ses racines suisses, il avoue voir son pays d'origine d'un oeil plus critique.
Et je crois que son discours pourrait se résumer à ça: il voit sa famille restée en Suisse dans le domaine agricole se battre pour survivre. Ses amis paysans suisses qui ne tournent plus et qui racontent les avantages que les immigrés reçoivent de l'Etat suisse sans travailler. Tous ces hommes vivant "gratuitement" dans les locaux refaits d'une commune du centre de la Suisse, alors que les économies des paysans suisses fondent comme glace au soleil.
Une jalousie tellement verte qu'on pourrait la récolter. Une injustice perçue des deux côtés. Une rage contre la Suisse et ce système qui peine à aider ses propres citoyens.
Alors je ne sais pas.
Ce qu'il disait m'a touché car sa propre situation, perdu dans un alpage du Jura, me semblait pas très enviable. Je peux dire qu'il était en rage de vivre dans une misère suisse tout en y travaillant, alors qu'il voyait des non travailleurs (je précise que je crois que c'était tous dans le discours) se faire offrir des aides.
Alors je ne sais pas.
Je crois qu'il n'y a pas de position à adopter, ni de côté à choisir. Mais juste être au courant de cette misère latente, c'est déjà pas mal.
Nous sommes rentrés de cet alpage. J'avais un peu le coeur serré. Les lampes frontales accrochées, nous sommes descendus et je crois que nous étions conscients que ce moment avec ce gars était plus important que d'avoir écouté le brâme du cerf. Maintenant que vous m'avez lu jusqu'au bout, vous pouvez l'écouter.
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