Le trench beige

Picture from Shelly Mosman

Il y a un type que je croise tout le temps sur le même chemin. 

Il a un beau costume gris, bien sérieux, bien classe, coupé sur l'homme. Les cheveux gominés plaqués en arrière et les sourcils alignés. L'automne, il sert le trench qui lui coupe le corps en deux à la taille. Le matin quelques fois, il mange une banane avec son air circonspect, très réfléchi. Quand il marche forcément vite pour le train 7h48, ses bras sont lancés dans le vide bien devant lui et ses jambes sont des barres fines d'acier solides, inflexibles. Une direction claire et une démarche mécanique qui correspondent aux traits nets de son visage. 

Ce type je le croise tout le temps. Sur le même chemin. Vers la gare. Depuis 7 ans maintenant. Et je lui ai inventé toute une vie. 

Peu sociable, il ne côtoie que ses collègues et les passagers des transports publics à qui il n'adresse pas une expression. Trop occupé pour laisser vivre une émotion sur son visage. Soucieux de ses affaires. Un job avec des responsabilités. Dans la finance ou dans les services secrets. Peut être un espion qui travaille pour le compte d'une autre société. Pas la Russie, c'est pas le genre. Mais quelque part d'Amérique centrale. Il gagne bien sa vie, parce qu'il habite seul dans une maison individuel pas loin de chez moi. Dans une ville excentrée, près de la campagne, encore une fois c'est stratégique. Pas de fitness car ça mélangerait les germes – un peu hypocondriaque sur les bords – son truc c'est le vélo de course parce qu'il faut aller tout droit, foncer.   

Un jour, je l'ai vu avec une jolie fille. J'ai trouvé qu'elle était bien jeune pour lui mais ça devait être une histoire de couverture sociale, ou peut être qu'il s'est laissé amadouer par une collègue. Bref, je l'ai vu quelques fois avec et il était changé. Souriant, ses yeux pétillaient pour elle. Je l'ai même vu la consoler sur un quai de gare. Un instant de vie qui a mouillé son costard. Elle doit valoir la peine de prendre le temps de marcher tranquillement. Il me semble plus vivant dès qu'elle est avec lui. 

Mais bon, ce ne sont que des choses que j'ai inventé.

Il y a pas longtemps, quelqu'un qui le connait m'a raconté sa vie. Et c'était moins fun que celle que je lui avais imaginé, moins plaisante ou originale à vous de voir, mais plus vraie. 

C'est carrément flippant d'avoir analyser et extrapoler sa vie sur des minuscules indices qu'il a laissé au gré de ses trajets de train. Pour moi c'était un petit jeu de pistes. Maintenant je peux plus avec celui-là (mon personnage préféré) mais il me reste tous les autres...

Commentaires

  1. Tiens, quelque chose qui me manque.

    Et puis, c'est bon de te lire à nouveau.

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