Peaches


En janvier, un samedi soir, à Genève, tout pourrait être paisible à la gare de l'aéroport. Des voyageurs qui partent précipitamment et d'autres qui reviennent avec des valises sur-étiquetées. Mais ce soir, du son résonne fort et interpelle les simples touristes; la soirée d'ouverture du festival Antigel se déroulait dans le hall de la gare.
Les barrières délimitent l'enceinte, là où on ne voit pas, là où on ne distingue que mal ce qui se passe. Le hall est submergé par le rythme coulant que propage Actress, aka Darren Cunningham. Impossible de le distinguer sur scène, caché derrière son écran. La fumée tourne et s'évapore par instants, laissant apparaître l'artiste londonien. Premier contact avec lui, je me sens dans un lounge, assise avec un martini à la main, bercée par une musique flottante qui enveloppe sans donner de points rythmiques précis. Mais Actress est là, bien que le public ait de la peine à réagir au son minimal, comme si on ne percevait qu'une ombre mystérieuse peinant à prouver son talent. Il le sent bien d'ailleurs. Un petit geste de la main lancé alors qu'on voit déjà ses talons et il repart. Actress a dû se demander ce soir s'il avait bien fait de changer de carrière professionnelle.

Puis vient Peaches, la fameuse et turbulente femme à barbe qui entame son concert avec une reprise, de celles que tout le monde fredonne sans connaître le titre. Miss Nicker est difficilement descriptible. Car si le costume est une chose, la posture en est une autre et sa volonté de provoquer modifie les codes des genres. Cependant, le jeu - soit tout ce dont il est question lors d'un concert de Peaches - vaut la chandelle de la représentation. Imaginez la belle surmontée de deux crânes sur les épaules, maquillée à son habitude de couleurs flamboyantes, emballée par un justaucorps de satin doré et secouant sa crinière blonde platine - c'est-à-dire sa perruque, cachant la plupart du visage et celle des deux macchabées qui lui tiennent compagnie.
Peaches joue sans cesse avec la limite du beau et de la laideur, alors même que l'acceptable est dépassé longtemps. Peaches fait dans l'expérimentation: elle décloisonne les genres pour aller voir s'il y a plus d'orgasmes ailleurs. Effaçant les codes habituels de la féminité qui préscrivent une attitude gracieuse et modérée, elle se lance dans son concert en s'accrochant à la structure métallique. On ne sait plus vraiment si on assiste à un concert de rock ou à une pièce musicale. Toujours est-il que les morceaux sont accrocheurs et que les paroles s'impriment dans notre esprit. "I m gonna feel your mummy complex " répète-t-elle; ça fait sourire mais le sens est tranchant.
Sa débauche fascine. Cette mise en scène n'est en fait qu'un spectacle burlesquecontemportain. Les deux mannequins habillées en hôtesses de l'air ou en sadomasochistes, au choix, intègrent le scénario. Peaches les provoque et cherche le contact mais ce ne sont que des spectres qui rythment le concert à la cravache. "I need love, love, love and … sex." Croyez-moi, elle ne se refuse aucun geste, allant jusqu'à cracher du champagne sur le public. Le son en tant que tel n'est pas exceptionnel. Mais on s'en fout pas mal: le son n'est pas la pièce maîtresse lors d'un concert de Peaches. Elle-même regarde peu ses platines quand elle redescend de la table.
"Avec elle, on est mal barré pour l'humanité" dit quelqu'un derrière. Et alors, le trash ne nous sauvera pas plus que la diplomatie. Je n'ai pas le temps d'apprécier la fin du spectacle que déjà le train part. Antigel n'a pas réussi à retenir les CFF alors que les complexes si.
Du 26 janvier au 10 février, des concerts, de la danse et même du sport sont prévus dans les lieux insolites des communes genevoises, allez-y ! 

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